Après
les avortements semi-clandestins (« sommets » de Rio
1992, Kyoto 1997, Copenhague 2009, Cancun 2010, Durban 2011, Lima
2014), la 21e conférence des Nations unies sur le climat
(COP21) se tiendra à Paris du 30 novembre au 11 décembre prochain.
Décrypter les enjeux géopolitiques, économiques et financiers qui
entourent cette nouvelle grand-messe onusienne, c’est prédire –
avec une marge d’erreur quasi nulle – un nouvel échec. Pour
dépasser – peut-être – les intérêts divergents, les égoïsmes
nationaux, les antagonismes historiques, la seule solution appartient
aux peuples, à condition de vouloir sa mise en œuvre.
Ce que la science et l’observation nous
apprennent
Depuis
1880 – date des premiers relevés – la température du globe
s’est élevée de 0,85°C en moyenne, et quatorze des quinze
premières années du 21e siècle sont les plus chaudes
jamais enregistrées (ces chiffres masquant évidemment d’importantes
disparités). D’ici à la fin du siècle, il faut s’attendre à
un réchauffement supplémentaire de 0,3° à 4,8° selon les
différents scénarios d’émissions. Or au-dessus de 2°C de
réchauffement moyen, les impacts sur les différents milieux – et
donc sur l’homme – seront considérables. Déjà aisément
observables sur une planète mise à feu et à sang, les conséquences
ne peuvent que s’accélérer si les causes persistent :
phénomènes extrêmes (cyclones, tempêtes…) plus fréquents et
surtout plus intenses, extinction en masse d’espèces végétales
et animales, hausse du niveau de la mer… (avec la naissance d’un
nouveau concept, celui de « réfugié climatique »). En
particulier, le changement climatique représente la première
menace sur la sécurité alimentaire dans les prochaines décennies,
en raison de son impact sur les rendements agricoles et la
multiplication des sécheresses et des inondations, destructrices
pour les récoltes.
Or il est
« extrêmement probable » (ce qui signifie une certitude
comprise entre 95 et 100%) que ce déréglement climatique soit lié
aux émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par les
activités humaines. L’essentiel de ces gaz (CO2, responsable de
74% des émissions, méthane - 16% - protoxyde d’azote - 8%) est
produit par la fabrication de notre énergie, nos déplacements,
notre alimentation et la déforestation. Entre 1900 et 2010, les
émissions mondiales de GES ont crû de 30% ; elles dépassent
désormais ce que l’écosystème Terre (océans, photosynthèse)
est capable de recycler. Avec, bien entendu, un profond sentiment
d’injustice puisque les principales victimes sont les pays pauvres
et les principaux responsables les pays riches, dont la prospérité
est bâtie sur une histoire meurtrière.
L’illusion des énergies renouvelables
Un jeu d’enfant !
Puisque l’utilisation massive des combustibles fossiles constitue
la cause principale du dérèglement climatique, il suffit de
s’orienter vers les énergies renouvelables et les techniques
douces, par le biais d’une « transition énergétique »,
véritable « dynamique vertueuse créatrice de richesses et
d’emplois, portée par une réglementation transparente, une
écofiscalité équitable, le développement d’une culture de la
citoyenneté énergétique » !! Une « troisième
révolution industrielle » qui « autoriserait même un
partage local de la richesse issue de la valorisation du potentiel
énergétique de chaque territoire, et contribuerait à diminuer les
tensions géopolitiques induites par les inégalités d’accès à
l’énergie » !! Selon les dirigeants et leurs valets, un
authentique conte de fées ! Solaire, éolien, hydraulique,
biomasse, déchets, géothermie… : réserves insoupçonnées,
perspectives mirobolantes d’énergie propre ! On en oublierait
presque que 50% de la consommation mondiale d’énergie est
engloutie par seulement 15% de la population mondiale. On oublierait
presque également que, malgré les discours lénifiants, 600 à 1000
milliards de dollars de subventions publiques annuelles sont
attribuées aux énergies fossiles ! Et si la réalité était
beaucoup moins enthousiasmante (entendons-nous bien : il ne
s’agit pas de dénigrer ces énergies qui seront incontournables,
seulement de reconnaître qu’elles ne suffiront pas, loin s’en
faut, à répondre aux besoins croissants de l’humanité :
pays émergents, augmentation démographique) ?
L’énergie, c’est le pouvoir
La
réalité, c’est d’abord un bilan chiffré : l’ensemble
des énergies renouvelables ne représentent actuellement que 14% de
l’énergie primaire totale consommée dans le monde (et seulement
6,4% dans l’Union européenne). C’est dire que leur poids
économique est très inférieur à leur visibilité médiatique
(surtout si l’augmentation de la consommation mondiale d’énergie
atteint 60% d’ici à 2030… mais l’avenir est de moins en moins
prévisible). La leçon à tirer est donc une extrême prudence,
parce que si les énergies renouvelables cumulées ont un potentiel
théorique de production très élevé, ces gisements sont souvent
extrêmement difficiles à exploiter massivement et de façon
durable. D’autant que de nombreux obstacles se dressent déjà ou
se laissent entrevoir (puissance des lobbies du pétrole et du
nucléaire, coût souvent élevé des investissements, lourdeur des
démarches administratives…).
Mais la
réalité, c’est aussi les réalisations sur le terrain. Un peu
partout sur la planète, d’immenses centrales photovoltaïques ou
thermiques colonisent l’espace sur des surfaces considérables,
expropriant de nombreuses populations. En France, la filière solaire
est désormais toute entière aux mains des deux piliers de la
politique énergétique, EDF et le CEA. Ce shéma vaut aussi pour
l’éolien avec la création de « parcs » ou « fermes »
de grande dimension. Idem pour les grands barrages hydroélectriques,
dont les projets se multiplient (actuellement, 35 barrages de plus de
150m de haut sont en construction). Avec les « dommages
collatéraux » que l’on connaît : des espaces naturels
dévastés, des populations rurales dépossédées de leur lieu de
vie, déportées et concentrées en milieu urbain pour y être
prolétarisées.
Mais
est-il si surprenant que l’énergie renouvelable se retrouve sous
la coupe des grands trusts ? L’histoire de l’énergie est
aussi celle de la concentration du pouvoir. Reconnaître le lien
entre la domination de l’humanité sur la nature et l’exploitation
de l’homme par l’homme, c’est prendre conscience que la
technologie, dans la maîtrise des forces naturelles, a servi à
offrir aux tyrans des instruments de plus en plus sophistiqués et
redoutables. La gestion de l’énergie – entre autres – est
entre les mains d’une caste de scientifiques, hauts fonctionnaires,
militaires et hommes d’affaires (voire des mafias, ce qui n’est
d’ailleurs pas très différent) dont le fonctionnement
court-circuite toute décision politique face aux impératifs
techniques.
Les
énergies renouvelables ne peuvent en aucun cas constituer un support
technique à un changement social radical sans une transformation
préalable des structures politiques, des processus de décision. Les
systèmes énergétiques conventionnels sont constitués de chaînes
longues et complexes (extraction, production, transport, stockage,
consommation). Tant que ces chaînes demeureront, même les énergies
renouvelables offriront aux gouvernements la possibilité d’un
contrôle politique sur les populations à travers leur dépendance
énergétique, et aux multinationales l’opportunité de réaliser
des profits par l’entretien de besoins artificiels. Evacuer la
dimension sociale et les relations de pouvoir revient à réduire le
traitement de la question énergétique à une simple « ingénierie
de l’environnement », favorable aux carrières des
politiciens, mais peu propice au bien-être des peuples.
Le risque d’effondrement
En
passant par les étapes cruciales comme l’apparition de
l’agriculture au Néolithique ou la révolution industrielle au 18e
siècle, l’humanité adopte de façon continue des niveaux toujours
plus élevés de complexité, de spécialisation, utilisant chaque
fois plus d’énergie, d’information, de ressources,
d’installations, de réseaux sans cesse plus vastes. De manière
générale, plus un système croît, plus il exige de moyens pour son
propre fonctionnement, sa propre survie. D’où les investissements
considérables de l’alliance étatico-capitaliste dans la
bureaucratie, la propagande électorale, la défense… Or à partir
d’un certain seuil, ces investissements supplémentaires ne peuvent
engendrer des résultats proportionnels, d’où l’entrée dans une
spirale des rendements décroissants, c’est-à-dire un déclin
inéluctable.
On sait
désormais que différentes civilisations se sont éteintes. Chaque
fois, plusieurs causes étaient en jeu : dysfonctionnements
institutionnels, aveuglement idéologique, niveau d’inégalités
élevé, perte du sens de la mesure… Mais parmi les causes
principales figuraient toujours les conditions écologiques. Or
aujourd’hui les menaces sont multiples : changement
climatique, déclin de la biodiversité, surconsommation d’eau
douce, accumulation des déchets, pollution atmosphérique,
épuisement des ressources fossiles, dégradation des terres
agricoles… Au risque d’une capacité de charge globale de la
Terre aujourd’hui dépassée s’ajoute la fragilité du système
financier mondial. La vulnérabilité des sociétés modernes est
proportionnelle à leur puissance : points de basculement
climatiques, écologiques et biogéophysiques ; pic des
ressources ; effets imprévisibles de seuils ou en cascade ;
impossibilité de maîtriser totalement ces super-systèmes, cette
« méga-machine ». E le temps qui passe réduit
considérablement notre marge de manœuvre. Paradoxalement, ce sont
peut-être les partisans de la croissance économique effrénée qui
vont nous faire revenir à l’âge de pierre !
Une société à reconstruire
Au-delà
d’ajustements techniques stériles, une transformation culturelle
et politique profonde est nécessaire pour envisager une société
nouvelle. Entreprendre une « décolonisation de son
imaginaire » pour percevoir que le dogme de la croissance
économique illimitée est devenu la religion de la société
moderne ; que le gaspillage énergétique est une condition
fondamentale du maintien du système «économique mondial,
c’est-à-dire que celui-ci ne peut se développer qu’en sapant
ses propres fondements ; que la foi aveugle dans les bienfaits
de la technologie conduit à une impasse ; que l’abondance des
biens et services ne sera jamais un préalable à l’émancipation ;
que le problème des limites et de la finitude des ressources
naturelles ne sera pas résolu par une fuite en avant suicidaire,
mais par une analyse lucide de la condition humaine.
Il est
temps de dissiper l’illusion qu’un haut degré de culture
implique nécessairement un niveau de consommation d’énergie aussi
élevé que possible. De détruire le mythe technoscientifique et les
fantasmes d’une société hyper-développée qui s’alimentent
réciproquement. Il ne s’agit pas seulement d’éviter un
emballement du climat, mais bien de reconstruire une société dans
sa globalité. Or un changement social radical ne fera pas, comme son
nom l’indique, l’économie d’une révolution sociale
s’attaquant à la « racine » des phénomènes. Ce n’est
qu’en créant des groupes égalitaires et autonomes, fédérés
entre eux, des structures sur la base d’unités à petite échelle,
que les populations pourront se réapproprier leur avenir. L’objectif
d’émancipation, l’aspiration des individus à travailler moins
doivent conduire à définir librement les besoins individuels et
collectifs, la finalité de la production.
L’occasion
est trop exaltante de profiter de la crise énergétique pour
renverser le modèle capitaliste, la course à l’artificialisation
des conditions de vie, la civilisation « hors-sol ».
Combattre l’hypermobilité qui a consacré le règne du
tout-automobile pour laquelle la ville a été conçue, symbole du
gaspillage et de l’aliénation. Abandonner une agriculture dont la
productivité réelle a diminué à mesure que les exploitations
dépendaient de plus en plus des combustibles, des fertilisants et du
machinisme, au profit d’une agroécologie qui reconstruit les sols
et les écosystèmes en restructurant les communautés paysannes.
L’avenir postpétrole et postcroissance sera inévitablement plus
sobre.